
À RETENIR : un salarié peut-il refuser d’utiliser une IA imposée par son employeur ?
L’essor de l’intelligence artificielle bouleverse les pratiques professionnelles. Certains employeurs demandent désormais à leurs salariés de recourir à des outils d’IA pour accomplir plus rapidement certaines missions. Mais que se passe-t-il lorsqu’un salarié refuse d’utiliser ces technologies ? Est-ce un droit ou une faute ? La réponse dépend de plusieurs critères juridiques.
Utilisation de l’IA au travail : le salarié peut-il refuser sans faute ?
Si l’employeur impose l’usage de l’IA sans modification formelle du contrat mais dans un cadre lié aux fonctions, le refus peut être interprété comme une insubordination, susceptible de sanctions disciplinaires. Mais encore faut-il que l’injonction soit claire, proportionnée et légale.
Dans le cadre du contrat de travail, le salarié est soumis à un lien de subordination qui l’oblige à exécuter les tâches demandées par l’employeur, y compris celles impliquant l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle. Le refus d’utiliser une solution ou une technologie basée sur l’IA, dès lors qu’elle entre dans le champ des fonctions du salarié, peut constituer un motif de licenciement. Ce refus peut être qualifié de faute grave s’il se répète ou s’il compromet le bon fonctionnement de l’entreprise, notamment dans un contexte de transformation numérique.
En revanche, le salarié a le droit de refuser une tâche qui n’entre pas dans ses attributions. Un licenciement prononcé à la suite de ce refus serait jugé sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 4 avr. 2001, no 98-45.934).
Le refus de l’IA est-il légitime ? Deux critères à vérifier
Si le salarié est tenu d’exécuter les tâches relevant de ses fonctions, y compris l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, il peut légitimement refuser une consigne lorsqu’elle contrevient à la loi ou à l’éthique professionnelle.
Exemples concrets de refus liés à l’IA
- Un juriste refuse d’utiliser une IA générative pour rédiger des contrats, invoquant une atteinte à la rigueur de l’analyse juridique et une possible compromission de la confidentialité.
- Un comptable conteste l’obligation d’utiliser une IA d’analyse prédictive qu’il juge opaque et contraire à ses méthodes de vérification manuelle, garantissant selon lui une meilleure fiabilité.
1. La tâche est-elle prévue dans le contrat de travail ?
L’introduction des outils d’IA modifie-t-elle la substance de la mission ? En droit, cela relève de la modification du contrat, qui nécessite l’accord du salarié (Cass. soc., 10 juill. 1996, n° 94-43.038).
En pratique, un juriste recruté pour ses capacités d’analyse peut estimer qu’on lui demande un changement substantiel si l’IA rédige désormais les actes à sa place. Pourtant, un juriste ne peut pas légitimement soutenir que l’usage d’un outil d’IA rédactionnel constitue une modification substantielle de son contrat de travail, dès lors qu’il conserve le rôle de supervision, validation et interprétation juridique. L’outil n’est qu’un levier d’efficience dans l’exercice de missions intellectuelles déjà prévues.
La jurisprudence distingue clairement ce qui relève d’un changement de poste (qui nécessite l’accord du salarié) de ce qui constitue une évolution normale des méthodes de travail (qui peut être imposée par l’employeur). L’intégration d’un outil d’IA, sauf bouleversement de la nature des fonctions, appartient à cette seconde catégorie.
2. Le salarié peut-il invoquer un motif éthique ou de sécurité ?
Un salarié peut – et même doit – refuser d’exécuter un ordre qui aurait pour effet de l’amener à enfreindre une disposition légale. Ce principe s’applique pleinement aux nouvelles pratiques professionnelles intégrant l’IA.
En effet, l’utilisation de certains outils d’IA peut poser problème :
- En cas de manque de transparence sur les sources utilisées.
- En présence de risques juridiques ou réglementaires (RGPD, secret professionnel).
- En cas de mise en danger de la qualité ou de la responsabilité professionnelle.
👉 Exemple concret : un salarié à qui l’on demanderait de générer à l’aide d’une IA des faux documents (CV truqués, faux avis clients, rapports modifiés, etc.) ou d’exploiter illégalement des données personnelles via un outil automatisé peut et doit s’y opposer.
Deux risques majeurs pèsent sur le salarié s’il exécute un tel ordre :
- Responsabilité pénale : il pourrait être poursuivi pour faux, usage de faux, atteinte à la vie privée, escroquerie ou collecte illicite de données.
- Responsabilité civile : en cas de préjudice causé à des tiers, il pourrait être condamné à les indemniser si l’infraction est jugée intentionnelle (Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82.066).
Une protection en droit du travail
Lorsqu’un salarié refuse d’exécuter un ordre manifestement illégal et en informe les autorités ou les personnes compétentes, il peut bénéficier du statut de lanceur d’alerte. À ce titre, un éventuel licenciement prononcé en réaction à cette dénonciation ou à ce refus d’obéir peut être considéré comme nul, car constitutif de représailles interdites par la loi (articles L.1132-3-3 et suivants du Code du travail).
Par ailleurs, en matière disciplinaire, la jurisprudence constante considère que lorsqu’un acte illicite est accompli sur instruction d’un supérieur hiérarchique, il ne peut être reproché au salarié qui s’y serait conformé sans conscience de l’illégalité. Mais a fortiori, si le salarié identifie le caractère illicite de l’ordre et refuse de l’exécuter, sa position est juridiquement protégée : il ne peut être sanctionné pour avoir respecté la loi. La responsabilité incombe alors exclusivement à l’auteur de l’ordre illégal.
IA et ordre illicite : comment le salarié peut-il se protéger ?
Pour se protéger en cas de litige futur, le salarié doit constituer une preuve de son refus motivé. Cela passe par un écrit circonstancié, adressé à sa hiérarchie (et/ou au service conformité / juridique / RH), dans une logique de bonne foi.
Exemple d’écrit à adresser en interne :
Objet : Demande de clarification sur la légalité d’une consigne d’utilisation de l’IA
Madame, Monsieur,
Faisant suite à la demande qui m’a été formulée le [date] concernant [description précise de la tâche], je m’interroge sur la légalité de cette instruction, notamment au regard de [le RGPD / le droit pénal / la déontologie applicable à mon poste].
En l’absence de garanties sur la conformité de cette opération, je me permets de suspendre son exécution dans l’attente d’une clarification écrite. Je tiens à rappeler que ma démarche s’inscrit dans le respect des obligations légales et de ma responsabilité professionnelle.
Restant à votre disposition,
[Nom / signature]
Ce type d’écrit permet de :
- Se ménager une preuve datée en cas de procédure disciplinaire ou de licenciement ;
- Démontrer une attitude prudente et responsable ;
- Éventuellement bénéficier du statut de lanceur d’alerte (si la situation relève d’un manquement grave à la loi, à l’éthique ou à l’intérêt général).
Le salarié peut-il refuser de se former à l’IA ?
Quand le refus de se former entre en conflit avec l’obligation de maintenir son employabilité
Avec la transformation rapide des outils professionnels, l’intelligence artificielle devient un levier incontournable dans de nombreux métiers : traitement comptable, gestion documentaire, support juridique, automatisation des tâches administratives… Face à cela, un salarié peut-il refuser de suivre une formation imposée par son employeur sur l’IA ?
Le salarié est-il obligé d’accepter une formation à l’IA ?
Le principe posé par l’article L6321-1 du Code du travail est clair :
« L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. »
Dès lors que l’IA constitue une évolution technologique majeure dans un secteur, le salarié a l’obligation de suivre les formations organisées par l’employeur, sous peine d’être considéré comme fautif. À l’inverse, l’employeur qui ne propose aucune formation à ses salariés sur ces outils engage sa responsabilité.
Que risque un salarié qui refuse d’utiliser une IA ?
🔴 Si le refus est injustifié :
- Avertissement.
- Mise à pied disciplinaire.
- Licenciement pour faute grave (en cas de refus persistant ou contexte tendu).
✅ Si le refus est légitime :
- Le salarié ne peut pas être sanctionné.
- Un licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, voire nul s’il est fondé sur une violation d’un droit fondamental (ex. : liberté de conscience, droit à la déconnexion).
IA et modification du contrat de travail : le point de droit
L’intégration d’un outil d’IA dans les tâches quotidiennes peut constituer :
- Une modification des conditions de travail (non soumise à accord).
- Ou une modification du contrat (soumise à l’accord du salarié), s’il y a impact sur la nature des missions, les responsabilités ou les méthodes de travail essentielles.
À noter : l’employeur ne peut pas imposer une mutation technologique substantielle sans recueillir l’accord écrit du salarié. En cas de refus, il peut proposer une rupture conventionnelle, mais ne peut pas licencier sans justifier d’une cause réelle et sérieuse.
L’accompagnement de l’avocat en cas de conflit
Pour le salarié :
- Vérification de la licéité de la tâche imposée.
- Appui pour faire valoir un droit à l’objection ou au refus fondé.
- Contestation de toute sanction ou licenciement abusif.
Pour l’employeur :
- Audit du contrat et de la légitimité du changement technologique.
- Conseil sur la conduite du changement et l’accord du salarié.
- Accompagnement dans la procédure disciplinaire si nécessaire.
En résumé
✅ Le salarié peut refuser | ❌ Le salarié ne peut pas refuser |
Une tâche illégale, contraire à ses obligations professionnelles | Une tâche prévue dans son contrat et en lien direct avec ses fonctions |
Une modification substantielle sans accord | L’usage d’un outil accessoire ne modifiant pas le cœur de la mission |
Un risque éthique ou professionnel fondé | Une formation en lien avec l’évolution technologique des méthodes de travail |
Vous êtes concerné(e) par un litige lié à l’IA au travail ?
L’IA n’est pas qu’un outil, c’est une transformation du travail.
Le salarié ne peut pas en ignorer l’impact, et l’employeur ne peut pas se décharger de son obligation de formation. Une résistance de principe est rarement recevable ; un refus motivé et encadré, en revanche, peut ouvrir un débat sur l’évolution des métiers et les limites de l’automatisation.
👉 Prenez rendez-vous dès aujourd’hui et bénéficiez d’une consultation personnalisée pour analyser votre situation et élaborer une stratégie juridique adaptée.
YML Avocat – Défendre vos droits, c’est notre métier.