Les nouvelles formes d’expression et de dialogue dans les entreprises
La mise en réseau du monde et l’accessibilité des connaissances ont fait naître des tensions entre l’ancien monde et le nouveau. L’autorité du manager ne repose désormais plus sur sa position hiérarchique, mais sur sa légitimité auprès d’un collaborateur désormais capable de vérifier en temps réel si ce qu’on lui dit dans l’entreprise est également vrai sur Internet.
En conséquence, dans l’entreprise, il faut permettre à chaque salarié le souhaitant d’être librement acteur de sa représentation professionnelle. D’autant plus qu’à travers une logique participative, le numérique peut supporter une fluidification des relations sociales en rendant l’information plus pédagogique et plus accessible à tous au sein de l’entreprise.
À la faveur des évolutions technologiques et du développement de la sous-traitance, le salariat se fragmente et se réinvente, phénomène que les organisations syndicales ont du mal à accompagner.
Les salariés, comme les citoyens, tendent à se fédérer entre eux, en utilisant notamment les outils qu’ils ont à leur disposition, comme les réseaux sociaux.
Le retard des entreprises
Or, en matière d’intelligence collective, l’entreprise est perçue comme étant en retard par rapport au reste de la société civile (monde associatif, communautés d’intérêt, monde de la recherche, villes et quartiers, écoles et universités.). 21 % des Français déclarent que c’est dans les entreprises que l’intelligence collective fonctionne de la manière la plus efficace contre 45 % dans le milieu associatif.
Dans la pratique, selon le dernier Baromètre de l’intelligence collective massive réalisé par BVA les consultations des salariés sont fréquentes, mais leurs modalités restent basiques et réductrices :
- Trois chefs d’entreprise sur 4 ayant consulté en interne l’ont fait de manière massive (totalité ou majorité des salariés), sur un rythme d’au moins une fois par an.
- 70 % des chefs d’entreprise ont consulté en présentiel, et 50 % via des outils digitaux… mais ils sont passés à 94 % par des questionnaires, c’est-à-dire des outils fermés et non conversationnels.
Outiller le dialogue social
Les relations sociales sont donc encore aujourd’hui conçues de telle façon que la participation des salariés se limite le plus souvent uniquement aux choix de leurs représentants par le biais des élections professionnelles. Pourtant, les technologies de l’information et de la communication pourraient ouvrir des voies intéressantes pour favoriser l’expression directe des salariés à l’occasion de consultations plus fréquentes sur les sujets qui les intéressent, au premier rang desquelles les conditions de travail.
Au sein de l’entreprise, l’enjeu principal est d’encourager l’accès aux outils numériques pour favoriser le dialogue social en le modernisant. Chaque salarié doit être ainsi doté d’une adresse mail professionnelle et formé aux usages des technologies d’information et de la communication. Associée aux réseaux sociaux d’entreprise (via Facebook, LinkedIn, Twitter, Toguna, Whaller, etc.), ces nouveaux dispositifs doivent être encouragés pour multiplier les prises de parole dans un cadre régulé.
Référendum numérique
Le recours au référendum numérique d’entreprise pourrait par exemple être encouragé, pour permettre à chaque salarié de s’exprimer sur des sujets divers, notamment sur les conditions de travail. Mais pour être efficace, ces référendums doivent impérativement être contextualisés avec l’aide des représentants du personnel et des syndicats afin ne pas appeler une réponse binaire, simpliste et donc démagogique.
De la conversation à l’action, voilà la transformation nécessaire qui doit être opérée au sein de nos entreprises. On pourrait pour cela imaginer la création de nouvelles structures de représentation qui feraient le lien entre salariés et employeurs. C’est ce qui permettrait de faire évoluer positivement notre matrice sociale visant à la fois une amélioration du service des syndicats en place, mais aussi à chaque salarié ne se reconnaissant pas dans l’action d’un acteur en place de pouvoir s’émanciper d’un corps intermédiaire pour être lui-même acteur de son propre dialogue social.
Pour en savoir plus :
– « Le dialogue social à l’ère du numérique » rapport co-écrit pour l’Institut Sapiens.
Yann-Mael Larher, Professeur associé, spécialiste des relations numériques de travail, Sciences Po
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.