Avec la 5e vague et le variant Omicron, l’employeur peut-il vraiment refuser le télétravail ?

Le droit du travail et du numérique

Avec la 5e vague et le variant Omicron, l’employeur peut-il vraiment refuser le télétravail ?

refuser le télétravail

En octobre dernier, selon les derniers chiffres de la Dares, 20% des salariés ont été au moins un jour en télétravail (-1 point sur un mois) dont 6% tous les jours de la semaine (soit 1% de l’ensemble des salariés). C’est une baisse de 7 points en deux mois. Alors que la 5e vague de covid ne faiblit pas et que le Conseil scientifique recommande notamment l’élargissement du télétravail, le travail à distance constitue-il un aménagement optionnel ou une adaptation indispensable à la prise en compte de la situation sanitaire ?

L’accord de l’employeur est indispensable 

Il convient de rappeler qu’en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure, les employeurs peuvent imposer le télétravail aux salariés mais à l’inverse le télétravail n’est en principe pas un droit pour les salariés. 

Les règles liées au recours au télétravail supposent en principe l’accord de l’employeur. En 2021, la jurisprudence a donné tord à un salarié qui s’était autoproclamé télétravailleur en aménageant une pièce de travail à son domicile au motif que son lieu de travail manquait de place pour installer durablement ses dossiers et sollicitait le remboursement des frais liés au télétravail (Cass. Soc. 17 février 2021, 19-13.783 et 19-13.855)

En effet, lorsqu’un salarié informe son employeur de sa volonté d’effectuer du télétravail, ce dernier peut librement accepter ou refuser sa demande. Lorsque le télétravail est prévu par un accord ou une charte dans l’entreprise, et que le salarié occupe un poste éligible selon ce texte, l’employeur doit motiver son refus (article L 1222-9 du code du travail – ANI pour une mise en œuvre réussie du télétravail du 26 novembre 2020, §2.3.3). Inversement, l’employeur n’est pas tenu de motiver son refus au salarié dont le poste est incompatible avec du télétravail compte tenu de l’accord ou de la charte. Mais que risque l’employeur qui refuserait le télétravail à un salarié alors que les circonstances pourraient l’exiger et que son poste est effectivement compatible ? 

Une obligation de sécurité de moyens pour l’employeur

En vertu de l’article L4121-1 du Code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de tous les travailleurs de son entreprise. 

Article L4121-1 du Code du travail : 

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

Depuis quelques années, on est en droit de se demander si l’employeur doit également prémunir préventivement les salariés contre les épidémies.

Mais l’employeur devrait prévenir le risque épidémique par le travail à distance

L’employeur est tenu d’évaluer les risques et de mettre à jour cette évaluation lorsque les circonstances changent – comme c’est le cas avec l’épidémie de coronavirus. 

Article L4121-3 du Code du travail : « L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs (…).  A la suite de cette évaluation, l’employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement ».

Mais de quels moyens disposent l’employeur pour assurer la sécurité de ses collaborateurs ? Dans une fiche pratique à la disposition des entreprises, le Ministère du travail indique que : « le travail à distance, notamment le télétravail, lorsqu’il a été organisé au préalable, est une modalité particulièrement efficace dans la mesure où elle permet la continuité de l’activité de l’entreprise tout en protégeant les salariés ».

Si l’employeur peut imposer le télétravail à ses salariés en période de menace épidémique comme le prévoit l’article L1222-11 du Code du travail, le site du Ministère du travail indique toutefois que l’employeur peut refuser le télétravail s’il « estime que les conditions de reprise d’activité sont conformes aux consignes sanitaires sur (le) lieu de travail ».

Le refus d’accorder à un salarié de travailler à distance pourrait toutefois se retourner contre l’employeur. En effet, le discours des autorités est ambigu. Pendant le confinement, le télétravail a constitué « la mesure de prévention à privilégier chaque fois que possible ». L’employeur devait démontrer que la présence sur le lieu de travail était indispensable au fonctionnement de l’activité. Depuis le télétravail reste recommandé « notamment pour toutes les personnes à risque de développer une forme grave de la maladie ». 

Le droit à la santé doit prévaloir

La situation sanitaire devrait conduire un plus grand nombre d’entreprises à proposer à leurs collaborateurs de poursuivre le télétravail, de façon continue ou ponctuelle. Au-delà de son devoir de prévention, l’employeur doit également veiller à la bonne santé physique et mentale de ses salariés. Le cas échéant, il doit prendre toutes les mesures nécessaires au maintien d’une ambiance et d’une organisation du travail saines et pérennes.

Si la jurisprudence affirme la légitimité du pouvoir de l’employeur, le droit fondamental à la santé se trouve sans cesse réinterprété par la loi et mis en balance par les juges face à la négociation collective, à la liberté d’entreprendre et au contexte social.

Lorsque l’état de santé du salarié le nécessite, le médecin du travail peut préconiser un aménagement du poste de travail impliquant. le cas échéant. des jours de télétravail (article L. 4624-3 du Code du travail). En cas de refus, l’employeur devra faire connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite (article L 4624-6 du Code du travail).

Des risques réels pour les entreprises 

En somme, l’employeur doit éviter les risques de contaminations et, si ce n’est pas possible, il doit évaluer les risques et mettre en œuvre des mesures de prévention.

Si le salarié démontre que l’employeur lui a fait courir un risque qui aurait pu être évité, l’employeur pourrait en effet s’exposer à des sanctions pénales (amendes et/ou peines d’emprisonnement) mais aussi à une condamnation civile ( Cass. soc., 11 mai 2010, n°09-42.241).

Le refus d’accorder le télétravail à un salarié pourrait ainsi exposer l’employeur à des sanctions en cas de préjudice d’exposition pour la santé du travailleur. S’il est déclaré coupable et qu’une faute inexcusable est retenue contre lui, l’employeur pourra enfin être condamné à indemniser le salarié sans le concours de la CRAM par exemple.

En fonction des indicateurs sanitaires, le télétravail devrait être ainsi renforcé (ou poursuivi) chaque fois que le poste le permet, aussi longtemps que possible. II en va de l’intérêt des salariés mais aussi des entreprises qui devront protéger leurs salariés contre les risques spécifiques liés au virus et leurs conséquences juridiques.

Pour les organisations qui n’ont pas mis en place d’accord ambitieux ou de charte sur le télétravail depuis le confinement, il est également grand temps de formaliser leur pratique.

Docteur en droit du travail, Yann-Maël LARHER est un avocat, fondateur du cabinet Legal Brain Avocats et co-fondateur de okaydoc.fr. Engagé pour la valorisation de la recherche et de l’innovation en France, il a travaillé en tant que juriste et en tant que communicant dans différentes organisations (Stratégie Gouv, TOTAL, VINCI). En 2019, Yann-Maël LARHER fait son entrée dans le classement « Top Voice » des influenceurs de LinkedIn où il partage activement sa vision de la société. Il a publié « Le droit du travail à l’heure du numérique » (2021) aux éditions Nuvis. 

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