Homophobie au travail : est-ce assimilable au harcèlement moral ?
Moqueries sur l’orientation sexuelle, commentaires irrespectueux sur l’apparence physique, insinuations sur la situation de famille… L’homophobie se subit aussi au travail. Selon une étude réalisée en 2020 par l’autre Cercle et l’IFOP, un quart des personnes LGBT+ affirment avoir été victimes de discriminations dans leur entreprise : moqueries, insultes, mises à l’écart, et même violences pour 10% d’entre eux.
Victime d’homophobie au travail : les questions à se poser
Homophobie au travail : comment attaquer son employeur pour discrimination ?
Il y a discrimination lorsque l’employeur traite différemment ses salariés pour des motifs racistes, sexistes, homophobes, par l’âge ou selon l’état de santé. Les discriminations pour les opinions politiques ou syndicales sont également interdites.
La jurisprudence rappelle que les actes homophobes en entreprise peuvent caractériser une situation de harcèlement moral. Ces actes peuvent prendre la forme d’insultes ou d’injures de nature homophobe, mais aussi de menaces violentes (provocation à la violence de la victime, menace de blessure ou de mort).
Les discrimination au travail liées à l’homophobie au travail peuvent intervenir :
- Lors de l’embauche d’un nouveau salarié
- Lors du renouvellement d’un contrat
- En lien avec la mutation ou promotion à un autre poste en interne
- En lien avec détermination du salaire et des autres modes de rémunération
- En lien avec l’accès à la formation
- Lors du reclassement ou du licenciement d’un salarié
- En lien avec les tâches confiées au salarié
Le salarié qui s’estime victime d’une discrimination en raison de sa sexualité peut saisir le Conseil de Prud’hommes.
Harcèlement moral : que faire lorsque le salarié est victime d’homophobie au travail?
Attention, il revient au salarié victime d’homophobie au travail d’apporter les premiers éléments laissant supposer l’existence de la discrimination, c’est la raison pour laquelle il est en pratique souvent essentiel de contacter un avocat.
En claire, il n’appartient pas au salarié d’apporter la preuve du harcèlement moral au travail en revanche il doit dénoncer la situation à son employeur par un écrit et il doit avoir des éléments de faits pour supporter sa dénonciation. Le rôle de l’avocat saisi d’un problème de harcèlement moral est déterminant pour veiller à la bonne application des règles de preuve. La victime d’homophobie au travail a intérêt à saisir les représentants du personnel de sa situation, car ces derniers ont le pouvoir d’alerter l’employeur et de procéder à une enquête. De son côté, l’employeur doit immédiatement procéder à une enquête.
Quand peut-on parler de discrimination au travail en raison du caractère homophobe ?
Propos injurieux envers un collègue constitutifs d’un harcèlement moral
Dans un arrêt du 20 septembre 2006 (n°2006-313521) la Cour d’appel de Grenoble considère que manquer de respect et proférer des propos injurieux envers un collègue, du fait de son orientation sexuelle, sont des actes constitutifs d’un harcèlement moral.
Pour caractériser le harcèlement, elle s’appuie sur les faits d’espèce suivants : “pédé de base”, “il ne pouvait pas travailler correctement, étant donné qu’il était homosexuel”… autant d’insultes qui prouvent une discrimation à l’encontre du salarié ; mais également un document où, dans la colonne “enfants”, il est mentionné à l’égard du salarié “évidemment non”. Soit une insinuation tendancieuse concernant la vie privée du salarié.
Insultes répétées proférées par un employeur
Dans un arrêt du 31 mars 2009 (n° 08/01639), la Cour d’appel de Douai insiste sur le caractère répétitif des actes discriminatoires et des propos homophobes, qui sont constitutifs du harcèlement moral. “Les insultes répétées proférées par un employeur à l’encontre d’une salariée caractérisent un harcèlement moral”.
Discrimination dans l’avancement de carrière
L’arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2013 n°11-15.204 rappelle “l’interdiction de discriminer dans sa carrière un salarié parce qu’il est homosexuel”. Cet arrêt est d’autant plus symbolique qu’il a été rendu le lendemain du vote définitif par l’Assemblée de la loi sur le mariage pour tous du 23 avril 2013.
En l’espèce, un cadre travaillant pour la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris avait postulé 14 fois, au cours de sa carrière, à un poste de sous-directeur. L’entreprise lui avait systématiquement refusé cette évolution professionnelle, alors même qu’il avait réussi “les épreuves d’aptitude aux fonctions de sous-directeur organisées dans le groupe.”
La Cour de cassation retient qu’il est en outre “le seul de sa promotion de 1989 à ne pas avoir eu de poste […] et qu’il était parmi les candidats les plus diplômés et que plusieurs témoins font état d’une ambiance homophobe dans les années 1970 à 1990 au sein de l’entreprise”.
La Cour de Cassation approuve en définitive le raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui avait prononcé la condamnation de l’entreprise au paiement de 600.000 euros à son ancien salarié en raison des discriminations liées à son orientation sexuelle.
“C’est un PD, ils font tous des coups de p…”
Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 21 février 2018, un jeune coiffeur en période d’essai dans un salon de coiffure parisien avait reçu un SMS, envoyé par sa manager qui s’était trompé de destinataire.
Le SMS disait “Je ne le garde pas. Je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de p…”.
Le lendemain, il était informé par le salon de coiffure que sa période d’essai était rompue.
Dans une décision ahurissante, le Conseil de Prud’hommes avait relève que le terme “PD employé par la manageur ne peut être reconnu comme homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles […]”.
Les juges avaient étonnement considèrent que “l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination […] mais que ce sont des propos injurieux qui ont été prononcés”.
L’employé a heureusement fait appel de ce jugement infirmé par la Cour d’appel de Paris en reconnaissant le caractère discriminatoire de la fin de la période d’essai puisque le manager n’avait pas réussi à établir que la rupture de la période d’essai était indépendante, distincte d’une “discrimination en lien avec […] l’identité sexuelle supposée du salarié”.
La Cour d’appel de Paris a prononcé la condamnation du salon de coiffure au paiement de dommages-intérêts pour la nullité de la rupture, ainsi qu’à de dommages-intérêts le “préjudice moral résultant du caractère odieux et vexatoire de la procédure de rupture”.
L’employeur doit sanctionner les comportements homophobes de ses salariés
L’homophobie au travail peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement comme l’illustre la jurisprudence.
Dans une décision d’espèce du 18 juin 1996, n°1996-043460, la Cour d’appel de Bordeaux considère que des propos homophobes, insinués par un salarié de l’entreprise à un de ses collègues qui est homosexuel, sont constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Cependant, ils ne peuvent être considérés “d’une importance telle qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis”. Cette jurisprudence est constante et rappelée régulièrement au fond.
La Cour d’appel de Montpellier (17 sept 2008, n°2008-376289) rappelle ainsi que les remarques insultantes et dégradantes d’un salarié envers un collègue au sujet de son orientation sexuelle était un motif légitime de licenciement.
Inaptitude du salarié suite à des brimades homophobes
Que doit faire un salarié si l’employeur n’agit pas contre l’homophobie au travail ?
Dans un arrêt du 11 juin 2009 (n°08/6832), Cour d’appel de Bordeaux, à la suite de la reprise de son contrat de travail par un nouveau prestataire de services, un salarié voit ses conditions de travail fortement dégradées à tel point qu’il est “déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre son poste habituel, étant précisé qu’il ne doit plus travailler en équipe ainsi que le soir”.
L’employeur décide alors de licencier le salarié en raison de son inaptitude à exercer ses fonctions, et que son poste ne permet pas un reclassement dans l’entreprise.
Le travailleur a alors fait valoir que certains salariés de la société lui avaient imposé plusieurs faits répétés de brimades homophobes et de violations de sa vie privée de nature à caractériser un harcèlement moral en raison de son orientation sexuelle.
La Cour d’appel de Bordeaux rappelle qu’il “incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement” (article L. 1154-1 du Code du travail).
Or la Cour d’appel juge que l’employeur n’a pas réussi à prouver que ces actes, perpétrés à l’encontre de la victime, étaient dépourvus d’un agissement homophobe.
Aucune de ses justifications n’était suffisamment sérieuse pour écarter le harcèlement moral dû à l’orientation sexuelle du salarié.
L’entreprise est ainsi condamnée, par la Cour d’appel de Bordeaux, au paiement de dommages et intérêts à la victime pour harcèlement moral qui était à l’origine de l’inaptitude du salarié.
En définitive, il convient de rappeler à tous les acteurs de l’entreprise que l’homophobie au travail et les discriminations liées à l’orientation sexuelle n’ont pas leur place dans l’entreprise ni dans les processus de recrutement.
L’orientation sexuelle relève de l’expression de chaque individualité qui peut s’exprimer dans le cadre professionnel mais qui n’a pas à être appréciée ou jugée par ses collègues ou sa direction.
Homophobie au travail : consulter un avocat
Victime ou témoin de discrimination au travail ?
L’assistance d’un avocat est cruciale en cas de harcèlement dont la source est une discrimination homophobe commise sur le lieu travail. La victime peut obtenir l’annulation des mesures prises contre elle par l’employeur en cas de harcèlement au travail et des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Docteur en droit du travail, Me Yann-Maël LARHER, assiste les salariés victimes de harcèlement moral ainsi que les employeurs afin de prendre toute la mesure de situations critiques et sensibles pour les salariés comme pour les entreprises.