Abus de liberté d’expression du salarié: conseil d’un avocat
Abus de la liberté d’expression : des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. L’employeur doit toutefois être prudent ! Avec leur capacité de mobilisation exceptionnelle, les réseaux sociaux modifient profondément les rapports de force. Désormais, au-delà des formes instituées de représentation, des modes moins traditionnels laissent la place à des usages nouveaux.
Liberté d’expression du salarié : ce qu’il faut savoir
Abus de la libertés d’expression : des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave
Les internautes salariés peuvent penser qu’ils bénéficient d’une impunité parce que ces publications relèvent de leur liberté d’expression. Il n’en est rien. Si le salarié jouit de la liberté d’expression, il doit toutefois observer une obligation de loyauté, et cette dernière l’emporte sur la première. L’obligation de loyauté est d’ailleurs inhérente au contrat de travail, même si elle n’est pas reprise spécifiquement par une clause du contrat de travail.
Depuis 1989, c’est la même jurisprudence qui s’applique (voir aussi Liberté d’expression : licencié pour avoir critiqué son entreprise sur les réseaux sociaux ?). La divulgation d’informations internes portant atteinte à la réputation de l’entreprise est considérée comme constituant un manquement à l’obligation de bonne foi. Sa violation peut ainsi entraîner des sanctions allant de l’avertissement au licenciement pour faute grave (Cass. soc. 13 juin 1989, n°86-44.995).
Quels recours pour l’entreprise face aux plateformes d’évaluations anonymisées ?
La plateforme Glassdoor invite à plus de transparence et bouleverse la marque employeur soigneusement maîtrisée par les équipes de communication. Glassdoor prolonge le principe d’évaluation de l’entreprise par les collaborateurs, en permettant par exemple de poster sa rémunération, de noter les dirigeants, ou encore d’évaluer et de décrire son entretien d’embauche.
La technique s’inspire de la pratique connue en droit anglais, du « name and shame » qui part de l’idée que pour combattre certains phénomènes difficiles à appréhender au travers d’actes précis, l’action sur la réputation est plus efficace que l’action par le droit. La méthode repose sur l’image que la société va renvoyer. L’objectif est de conduire les entreprises concernées à préserver leur image en évitant un classement ou la diffusion d’une information dévalorisante.
Certains salariés peuvent également penser que les pseudonymes derrières lesquels ils se réfugient parfois les protègent. Il convient d’être très prudent, il n’existe pas de droit à l’anonymat sur Internet. La loi impose aux éditeurs de site, hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu mis en ligne.
L’entreprise peut ainsi demander la levée de l’anonymat au juge pour permettre la poursuite des auteurs de contenus dommageables à l’image de l’employeur.
Agir contre un salarié : attention à l’effet Streisand !
Il convient toutefois de rappeler qu’une action en justice n’est pas toujours la meilleure des défenses, en particulier pour une entreprise qui souhaite peut-être cacher la réalité du quotidien de ses collaborateurs… On désigne ce phénomène sous le nom d’« effet Streisand ».
En voulant censurer l’expression d’un salarié, l’entreprise risque paradoxalement d’attirer l’attention des internautes et de salir réellement sa réputation alors que le message originel, bien que public, serait resté confidentiel.
Les entreprises doivent être d’autant plus vigilantes quand elles sanctionnent les salariés car en l’absence d’abus, le licenciement d’un salarié fondé sur l’exercice du droit d’expression est nul (Cass. soc. 28 avr. 1988, n° 87-41.804). En effet, en cas de violation de la liberté d’expression qui est une liberté fondamentale, l’annulation du licenciement produit un effet exceptionnel : elle donne au salarié un droit à réintégration dans son emploi.
Comment prévenir les dérives et les contentieux ?
Du point de vue de l’employeur, les médias sociaux servant de support à l’expression du salarié ne changent pas les principes juridiques applicables, mais ils peuvent avoir des conséquences sur les modes de preuve utilisés et l’effectivité de ses pouvoirs.
On doit tout d’abord souligner la fragilité de la liberté d’expression des salariés sur Internet. Dès lors que leurs propos sont négatifs et publics, ils sont susceptibles d’être qualifiés d’abusifs. C’est logique du point de vue des relations individuelles de travail, mais plus discutable du point de vue des relations collectives de travail.
Dans le cadre de la publication de commentaires négatifs sur une société, on peut également d’abord s’interroger sur l’efficacité de la jurisprudence au regard du préjudice qui peut être subi par l’entreprise et d’une éventuelle sanction qui peut constituer une atteinte supplémentaire à l’image de l’entreprise puisque le processus judiciaire va apporter encore plus de visibilité au débat.
Alors que le « droit à l’oubli » est un mythe (dans la mesure où les informations publiées sur Internet sont susceptibles d’être accessibles à tous et reproduites à l’infini), il apparaît aujourd’hui indispensable de sensibiliser les salariés et les entreprises aux « bonnes pratiques » d’utilisation des outils de communication électronique, aux limites de la liberté d’expression et aux conséquences pour l’entreprise comme pour les salariés de la publication de telles critiques sur internet ou les réseaux sociaux.
L’information, la sensibilisation et la responsabilisation peuvent s’effectuer au sein de chartes, de livrets de bonne conduite, de formations ou encore par la désignation d’interlocuteurs privilégiés formés sur ces questions.
En tant qu’entreprise ou salarié, quelles bonnes pratiques sur Internet ?
« Verba volant, scripta manent » est une locution latine qui peut se traduire en français : « Les paroles s’envolent, les écrits restent ». Les conversations entre collègues qui avaient très peu de chances d’être enregistrées par la machine à café acquièrent à travers les réseaux sociaux une visibilité pouvant porter tort au salarié comme à l’employeur.
A l’ère des réseaux sociaux, les codes classiques de la communication d’entreprise sont vigoureusement bouleversés. Salariés et consommateurs ont fait des réseaux sociaux leurs supports privilégiés pour s’informer, découvrir, échanger, dénoncer, commenter, noter ou recommander.
L’entreprise a tout intérêt à libérer l’expression dans l’enceinte numérique de l’entreprise, par exemple sur son réseau social interne (voir L’entreprise ne doit plus être vue comme une pyramide mais un réseau social). En effet, le risque de voir les salariés manifester leur colère en ligne est grand du point de vue de l’image des entreprises, qui ont tout intérêt à ouvrir le dialogue dans l’entreprise et à anticiper les conflits.
Sur Internet, la personnalité du salarié et le nom de l’entreprise sont en interaction : avec des réseaux sociaux comme LinkedIn, tout le monde a accès au parcours professionnel du salarié, avec Twitter ou Facebook c’est l’intimité de la personne qui se dévoile.
Loin des idées reçues, les salariés peuvent aussi participer de manière positive à la valorisation de l’e-réputation de leur entreprise. D’ailleurs, ils engagent eux-mêmes leur propre e- réputation lorsque que la réputation de l’entreprise est atteinte et ils auront eux-mêmes plus de difficultés à valoriser leur expérience professionnelle dans une entreprise à la réputation contestée.
Sur Internet l’anticipation doit être la règle ! Les contentieux en ligne ne grossissent que si on les nourrit : les salariés-internautes et les entreprises doivent en avoir conscience et agir avec prudence.
Liberté d’expression – Avocat en droit du travail
Avocat au barreau de Paris et Docteur en droit du travail, Maître Yann-Maël LARHER met ses compétences au service de ses clients dans les domaines du Droit du travail et social, de la liberté d’expression en ligne et du Droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication. Il a publié « Le droit du travail à l’heure du numérique » (2021) aux éditions Nuvis.