Validité des preuves illicites ou déloyales aux Prud’hommes : révolution ou évolution juridique ?

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Validité des preuves illicites ou déloyales aux Prud’hommes : révolution ou évolution juridique ?

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Peut-on enregistrer un salarié ou un employeur à son insu avec son smartphone ? Est-ce valide devant devant les Prud’hommes ? En matière juridique, l’utilisation de preuves déloyales est généralement prohibée, conformément au principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Cependant, un récent arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, en date du 22 décembre 2023 (n°20-20.648), marque un tournant significatif dans cette perspective. La Cour de cassation a émis un avis sur les conditions de recevabilité des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale, élargissant ainsi les possibilités pour les parties de faire valoir leurs droits dans certains litiges civils.

Nouvelles conditions de recevabilité des preuves déloyales

La décision de la Cour de cassation ouvre la voie à l’utilisation de preuves déloyales dans un contexte civil, sous réserve de conditions strictes. Cela est particulièrement pertinent dans des cas tels que les litiges entre employeurs et salariés, où la validité des preuves peut jouer un rôle crucial.

1. Faits et procédure

L’affaire qui a conduit à cette décision implique un salarié engagé en tant que responsable commercial « grands comptes » pour une société à partir du 14 octobre 2013. Le litige a émergé lorsque le salarié a été licencié pour faute grave le 16 octobre 2016, suite à une mise à pied conservatoire le 28 septembre 2016. La Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 28 juillet 2020, a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à payer diverses sommes au salarié.

Face à cette décision, l’employeur a fait appel en cassation, invoquant les articles 9 du Code de procédure civile et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces articles soulignent l’importance de prouver les faits nécessaires à la prétention de chaque partie et garantissent une audience équitable et publique.

2. Moyen

L’employeur a contesté la décision de la cour d’appel qui avait déclaré irrecevables les éléments de preuve obtenus par le biais d’enregistrements clandestins. Selon lui, même si ces enregistrements étaient obtenus à l’insu du salarié, ils étaient recevables, ne portant pas atteinte à ses droits, tout en étant indispensables au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l’employeur. L’employeur a argumenté que ces éléments auraient dû être discutés équitablement dans le cadre d’un procès.

3. Solution

Contre toute attente, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a infirmé la décision de la Cour d’appel d’Orléans, statuant que les preuves obtenues par l’employeur à travers des enregistrements clandestins étaient recevables. Cette décision repose sur une analyse approfondie de la jurisprudence, notamment les articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et 9 du Code de procédure civile.

4. Application aux Prud’hommes

Désormais, dans le cadre d’un procès civil et en particuliers aux Prud’hommes, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduira plus automatiquement à son exclusion des débats. Les juges sont appelés à évaluer, sur demande, si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en pesant le droit à la preuve par rapport aux droits contradictoires en présence.

Par cette décision, l’assemblée plénière de la Cour de cassation aligne enfin sa position sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de droit à la preuve. Ce changement aura sans aucun doute des répercussions significatives sur la manière dont les preuves déloyales sont traitées dans les litiges en matière civile et sociale en France.

L’admission de preuves déloyales en matière pénale

Cette décision prend tout son sens à la lumière d’une affaire antérieure, datant du 12 avril dernier (n° 22-83.581), où la chambre criminelle de la Cour de cassation avait déjà émis un avis sur la captation d’éléments lors d’un entretien préalable au licenciement. Dans cette affaire, un délégué syndical avait enregistré à l’insu de l’employeur des propos échangés lors d’un entretien. La Cour avait alors approuvé le raisonnement des juges qui avaient rejeté la qualification d’« atteinte à l’intimité de la vie privée par enregistrement de paroles tenues à titre privé ou confidentiel ».

1. Enregistrement à l’insu du salarié

La Cour de cassation avait affirmé qu’un délégué syndical présent lors d’un entretien préalable au licenciement pouvait, sans commettre de délit, enregistrer les propos échangés à cette occasion sans en informer l’employeur. L’arrêt soulignait que cet enregistrement, réalisé à l’insu de l’employeur, ne constituait pas une atteinte à l’intimité de la vie privée, car l’entretien était lié à la seule activité professionnelle du plaignant.

2. Un juste équilibre avec le droit à la preuve

La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi de l’employeur, affirmant que la caractérisation du délit d’atteinte à l’intimité d’autrui nécessitait que les paroles captées, enregistrées, ou transmises soient prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la personne qui les prononce. Ainsi, la décision confirmait que dans le contexte professionnel, un enregistrement à l’insu de l’employeur pouvait être utilisé sans constituer une violation de la vie privée.

3. Symétrie Employeur-Salarié

En matière pénale, la Cour de cassation établissait déjà une symétrie entre employeur et salarié en matière de preuves obtenues de manière déloyale. Elle soulignait ainsi que le salarié peut apporter une preuve de manière déloyale pour protéger ses droits de la défense, par exemple, face à des propos racistes, sexistes ou discriminants.

De manière similaire, en matière civile, l’employeur peut désormais produire une preuve obtenue de manière déloyale, comme un enregistrement réalisé à l’insu d’un salarié.

Conséquences sur les litiges du travail

Cette évolution de la jurisprudence française marque un tournant significatif dans la manière dont les preuves déloyales sont traitées dans les litiges du travail. Les arrêts de la Cour de cassation offrent aux parties en conflit une marge de manœuvre plus large pour utiliser des enregistrements ou d’autres moyens de preuve obtenus de manière clandestine, à condition que cela soit jugé proportionné au but recherché et indispensable à la défense des droits en présence. Il est crucial de noter que cette décision n’équivaut pas à un changement radical de jurisprudence, mais plutôt à une clarification bienvenue et à une extension de la portée de certaines décisions antérieures. Les parties impliquées dans des litiges du travail devront désormais tenir compte de ces nouvelles considérations lorsqu’elles envisageront l’utilisation de preuves obtenues de manière déloyale devant les tribunaux et tenir compte des défis posés par les nouvelles technologies dans la collecte des preuves tout en préservant l’éthique des négocations entre employeurs et salariés.

par Yann-Maël Larher 

Docteur en droit du travail, Yann-Maël LARHER est un avocat, fondateur du cabinet YML AVOCAT. Il a publié « Le droit du travail à l’heure du numérique » (2021) aux éditions Nuvis. 

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3 Responses

  1. JimmyKib dit :

    Good luck 🙂

  2. JimmyKib dit :

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