Quelles sont les limites à la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux ?

Le droit du travail à l'heure numérique

Quelles sont les limites à la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux ?

Limites à la liberté d'expression des salariés

Quels sont les cadres et les limites à la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux ? Découvrez les risques et protections liés à l’expression en ligne. Facebook, Linkedin, Twitter ou encore GlassDoor… les réseaux sociaux occupent actuellement une place importante dans la vie quotidienne des salariés. La popularité de ces nouvelles plateformes d’expression numérique interroge de plus en plus souvent le principe de la liberté d’expression des salariés et ses limites lorsque cette expression est publique en ligne. Ce panorama recense les articles et les arrêts importants de la Cour de cassation pour permettre de comprendre les principes et les limites de la libertés d’expression du salarié en ligne.

La liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux : un principe fondamental aux enjeux majeurs

En vertu de l’article 11 Déclaration universelle des Droits de l’Homme, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme affirme également le principe fondamental de la liberté d’expression qui s’applique également dans le monde du travail en vertu de l’article L.1121-1 du Code du travail. 

Ainsi, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression (Cass. Soc, 28 avril 2011, n°10-30.107 et Cass. Soc, 27 mars 2013, n°11-19.734).

Le salarié peut s’exprimer librement dans l’entreprise en chantant, sifflant ou parlant à ses collègues (Circulaire DRT, 15 mars 1983) ou ayant des discussions politiques ou religieuses ( CE, 25 janvier 1989, n°64296) ou bien même en partageant du contenu en ligne, ce qui relève de sa vie privée (CA, Amiens, 12 mai 2021, n°19-08603). 

Toutefois, l’expression sur les réseaux sociaux doit respecter certaines limites, notamment pour éviter tout abus susceptible de porter préjudice à l’employeur.

Limites à la liberté d’expression des salariés : quand la liberté d’expression devient un abus ?

Le principe de la liberté d’expression du salariés n’est pas sans limites ! Le salarié doit être particulièrement prudent sur ce qu’il publie sur les réseaux et s’assurer de son cercle d’amis (Cass. Soc, 12 septembre 2018, n°16-11.690). Ainsi, si le salarié s’adresse à un cercle plus large il devra veiller à ne pas abuser de cette liberté d’expression avec des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs au risque de se voir sanctionné (Cass. Soc, 11 avril 2018, n°16-18.590). Ce dernier peut en effet être licencié pour faute grave (Cass. Civ, 13 juin 2006, n°03-47.580) ou pour faute lourde si l’intention de nuire à l’employeur est caractérisée (Cass. Soc, 29 avril 2009, n°07-44.798). 

Est ainsi considéré comme abus de la liberté d’expression du salarié des propos injurieux, diffamatoires, insultants excessif (Cass. Soc, 19 février 2014, n°12-29.458 / Cass. Soc, 7 avril 2014, n°12-35.305). Mais également des propos diffamants, insultants et offensant tenus sur Facebook envers l’employeur, termes injurieux ou vexatoires démontrant une intention de nuire ou portant atteinte à la dignité humaine (CA, Besançon 15 novembre 2011, n°10-02642).

Pour l’employeur, il convient toutefois de rappeler qu’une action en justice n’est pas toujours la meilleure des défenses. En voulant censurer l’expression d’un salarié, l’entreprise risque paradoxalement d’attirer l’attention des internautes et de salir réellement sa réputation alors que le message originel, bien que public, serait resté confidentiel.

Le rôle des juges dans l’évaluation des propos du salarié en ligne

Pour déterminer si la liberté d’expression du salarié a été abusivement exercée, les juges procèdent à une analyse détaillée des faits qui leur sont présentés, en tenant compte des limites spécifiques à cette liberté.

Propos anonymes : comment les juges évaluent les limites à la liberté d’expression des salariés ?

Lorsqu’il s’agit de propos anonymes, les juges évaluent la gravité en fonction du caractère déloyal et malveillant des termes employés. Dans une affaire jugée par la Cour de cassation Cass. Soc, 11 avril 2018, n°16-18.590), un salarié avait publié anonymement un avis négatif sur une plateforme de notation. Bien que l’auteur ait tenté de se cacher derrière l’anonymat, l’entreprise a pu l’identifier et l’a licencié pour faute grave. Le salarié a contesté cette décision, invoquant sa liberté d’expression. Toutefois, la Cour a considéré que ses propos constituaient un abus des limites à la liberté d’expression des salariés, car ils étaient malveillants et préjudiciables à l’employeur.

Impact et audience des propos en ligne : quelle importance pour la justice ?

L’impact et l’audience des propos en ligne jouent un rôle crucial pour la justice lorsqu’il s’agit de déterminer les limites à la liberté d’expression des salariés. Tant que les salariés ne tiennent pas de propos abusifs, ils sont libres de s’exprimer sur leur entreprise en dehors du cadre professionnel, que ce soit lors d’une émission de télévision (Cass. Soc., 9 janvier 2002, n°99-45.875), sur un site internet à audience restreinte (Cass. Soc., 6 mai 2015, n°14-10.781) ou encore lors d’un colloque scientifique (CA Paris, 16 mars 2011, n°09-06242).

Nature des propos : où se situe la frontière entre liberté et abus ?

Les juges ont précisé les limites à la liberté d’expression des salariés en ligne, en évaluant chaque situation au cas par cas. La Cour de cassation a notamment reconnu que des propos humoristiques ou sarcastiques (Cass. Soc, 2 février 2011, n°09-69.351), leur caractère ponctuel (Cass. Soc, 9 janvier 2002, n°99-45.875) ou répété (Cass. Soc, 23 juin 2010, n°09-40.825) jouent un rôle essentiel dans l’appréciation de l’abus de cette liberté.

Propos privés ou publics : la distinction essentielle aux yeux des tribunaux

Les juges prennent également en compte le caractère public ou privé des propos pour évaluer les limites à la liberté d’expression des salariés. Si les propos litigieux sont diffusés sur un compte Facebook accessible à un cercle restreint ou à un groupe fermé, ils relèvent d’une conversation privée.

En revanche, ce n’est plus le cas lorsque ces propos sont accessibles à un public plus large (CA Amiens, 12 mai 2021, n°19-08603). La Cour de cassation se base donc sur le contenu des propos, mais aussi sur le cadre dans lequel ils ont été tenus. Par exemple, elle a jugé qu’une conversation privée dans un groupe Facebook de quatorze personnes ne justifiait pas un licenciement pour faute grave (Cass. Soc. 12 septembre 2018 n° 16-11.690). 

Licenciement pour abus de la liberté d’expression : quelles sont les règles ?

Le salarié doit donc veiller à l’exercice non abusif de son droit à la liberté d’expression, au risque de se voir sanctionné (Cass. Soc, 11 avril 2018, n°16-18.590). Il pourra en effet être licencié pour faute grave (Cass. Civ, 13 juin 2006, n°03-47.580) ou pour faute lourde si l’intention de nuire à l’employeur est caractérisée (Cass. Soc, 29 avril 2009, n°07-44.798). 

En effet, la Cour de cassation a prononcé un licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait dénigré son entreprise dans des termes « déloyaux et malveillants » sur un site de notation publique confirmé par les juges (Cass. Soc, 11 avril 2018, n°16-18-590). Le licenciement est ainsi justifié quand il existe des propos injurieux et diffamatoires

Licenciement injustifié : vers la nullité pour atteinte à la liberté d’expression ?

L’employeur devra toutefois être prudent, en effet en cas de sanction injustifiée, le licenciement sera considéré comme nul et aura de lourdes conséquences pour l’employeur. En l’absence d’abus, le licenciement d’un salarié fondé sur l’exercice du droit d’expression est nul (Cass. soc. 28 avr. 1988, n° 87-41.804).

En effet, en cas de violation de la liberté d’expression qui est une liberté fondamentale, l’annulation du licenciement produit un effet exceptionnel : elle donne au salarié un droit à réintégration dans son emploi.

On peut signaler la protection particulière des lanceurs d’alerte dans les entreprises lorsqu’ils dénoncent un risque grave pour la santé publique ou l’environnement (art L4133-5 Code du travail ; art L1351-1 Code de la santé publique) ou des faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts (art.25, Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique). 

Enfin récemment, la Cour européenne des droits de l’Homme a affirmé qu’un salarié ne pouvait pas être justement licencié pour avoir « LIKER » du contenu sur un réseau social, sans réelle volonté de diffusion. (CEDH, 15 juin 2021, affaire Melike c. Turquie, 001-210517). La Cour a ainsi considéré qu’un tel licenciement violait le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. 

La preuve de l’abus de la liberté d’expression : quelles exigences pour l’employeur ?

Pour établir un abus de la liberté d’expression en ligne par le salarié, la preuve présentée doit être légale. Conformément à l’article 9 du Code civil et à l’article 1121-1 du Code du travail, le salarié a droit au respect de sa vie privée, et toute atteinte à ce droit doit être proportionnée au but recherché.

Ainsi, tout mode de preuve obtenu par une atteinte injustifiée ou disproportionnée est considéré comme illicite (CA Paris, 30 septembre 2020, n°17-05572).

La Cour de cassation a également jugé que le procès-verbal de constat d’huissier contenant des informations extraites du compte Facebook d’une salariée, obtenues via le téléphone portable d’un autre salarié, et réservées à un cercle restreint de personnes autorisées, ne pouvait être utilisé par l’employeur sans constituer une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée (Cass. Civ, 20 décembre 2017, n°16-19.609).

Enfin, pour invoquer un grief de dénigrement à l’encontre du salarié, l’employeur peut se fonder uniquement sur les échanges de commentaires qui suivent la publication de ce dernier. Ces éléments, nécessaires à l’exercice du droit à la preuve, doivent être proportionnés à l’objectif visé, à savoir la défense légitime de la réputation de l’employeur (CA Paris, 3 mars 2021, n°18-12070).

Le salarié peut-il invoquer le droit à la vie privée pour l’utilisation de la messagerie professionnelle à des fins personnelles ?

Oui, le salarié conserve son droit à la vie privée, y compris pour l’utilisation de la messagerie professionnelle à des fins personnelles. Contrairement à certaines idées reçues, la Cour de cassation a réaffirmé ce principe en annulant, le 25 septembre 2024, le licenciement pour faute grave d’un cadre dirigeant qui utilisait sa messagerie professionnelle à des fins privées. Selon la Cour, le contenu des correspondances personnelles du salarié, même échangées pendant les heures de travail, bénéficie de la protection de la vie privée. L’employeur ne peut donc pas les surveiller ou les utiliser pour justifier des sanctions disciplinaires, à moins que ces communications soient directement liées à une faute professionnelle.

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