Etats Généraux de la Justice : ce que dit le rapport sur le droit du travail
Quel avenir pour le conseil de prud’hommes ? Dégradation de l’institution judiciaire, souffrance du personnel de la justice, incompréhension des justiciables… La justice est confrontée à de nombreux défis selon le rapport du comité des États généraux de la justice remis au président de la République le 8 juillet 2022. Malgré la qualité des travaux des Etats Généraux de la justice, ces derniers sont pourtant restés très confidentiels notamment sur le droit du travail. Tour d’horizon des propositions concernant l’institution prud’homale.
Une procédure Prud’hommes : 16 mois en moyenne
Combien de temps dure une procédure prud’hommes ? La crise traversée par la justice française est présente à la fois du côté des professionnels et des justiciables. Le découragement des uns et l’incompréhension des autres tendent à devenir inquiétants pour la garantie des droits : les délais de jugement moyens ont été allongés au cours des dernières décennies, atteignant 13,9 mois pour la première instance en 2019, 15,8 mois en appel (et jusqu’à 16 mois en moyenne aux prud’hommes). Outre les conséquences observables, le rapport pointe aussi les causes de la crise de l’institution judiciaire et en particulier : la sous-dotation permanente de l’institution judiciaire ; la complexification et la multiplication du droit et procédures ; les réformes mises en place qui ne visent qu’à « colmater les brèches » d’un système défaillant ; la multiplication des missions assignées à la justice.
Le constat des Etats Généraux de la justice : l’écroulement de la justice
Le constat est sans appel selon les Etats Généraux de la justice. « L’augmentation de la durée moyenne des délais dans un contexte de diminution généralisée du nombre des affaires nouvelles interroge sérieusement sur l’efficience de l’organisation des juridictions en cause. Le nombre d’affaires nouvelles connaît une baisse constante depuis plus de douze ans, en raison notamment de l’institution de la rupture conventionnelle du contrat de travail, de la barémisation des indemnités de licenciement et des réformes plus récentes portant notamment sur les conditions de saisine : -55% entre 2009 et 2020, -32 % entre 2016 et 2020. La justice prud’homale est par ailleurs confrontée à la faiblesse des plus petites juridictions et à la concentration géographique des affaires sur un nombre de plus en plus restreint de conseils des prud’hommes, correspondant aux grands bassins d’emploi : 10 % des juridictions prud’homales assurent 48 % du traitement des affaires en France et les deux tiers de ces grandes juridictions ont des stocks anormalement élevés. En juillet 2021, l’inspection générale de la justice relève que 25,4 % des conseils de prud’hommes (CPH) présentent un délai théorique d’écoulement du stock supérieur à 17,5 mois et peuvent être considérés comme étant en difficulté ; certains dépassent les 30 mois avec des renvois en 2024 ; certaines situations ont enfin justifié le transfert de procédures sur des CPH voisins ».
Le rapport pointe encore « les juridictions, même les mieux organisées, rencontrent de réelles difficultés à fixer une audience à une date très rapprochée, rendant ainsi quasi-ineffectives les procédures en référé ».
Le droit du travail mérite mieux
Le comité des Etats Généraux de la justice ne remet pas en cause le principe d’une justice paritaire. Il invite toutefois les partenaires sociaux à se saisir des difficultés profondes qui traversent la justice prud’homale pour en renforcer l’efficacité. « La transformation proposée des conseils des prud’hommes en tribunaux du travail permettrait de signifier clairement leur rôle juridictionnel et décisionnel, de les valoriser et d’améliorer la compréhension de leur rôle pour les justiciables ». Le comité considère que tribunal du travail doit être rattaché sur les plans administratif, organisationnel et budgétaire au tribunal judiciaire, sans modification de son fonctionnement paritaire.
Transformer les conseils de prud’hommes en tribunaux du travail
Selon le rapport, « le comité considère que tribunal du travail doit être rattaché sur les plans administratif, organisationnel et budgétaire au tribunal judiciaire, sans modification de son fonctionnement paritaire ». Ensuite, « un nouvel équilibre procédural visant à réduire les délais de traitement tout en valorisant la conciliation doit être créé pour maîtriser les délais aujourd’hui constatés. Ainsi, la mise en état devra être suivie avec une aide accrue du greffe et le bureau de conciliation devra être constitué de juges du travail spécialisés sur ces fonctions ». Enfin, le groupe envisage un travail partenarial avec les barreaux pour contractualiser la gestion procédurale des audiences du tribunal du travail.
Etats Généraux de la justice : mieux valoriser la conciliation et la médiation ?
Pour les rapporteurs, « la justice du travail est particulièrement propice au développement des modes amiables de règlement des différends (MARD) ». Le bureau de conciliation pourrait ainsi « être constitué de façon paritaire avec des juges du travail dédiés ayant bénéficié d’une formation spécifique à la conciliation et plus largement aux MARD ». Concrètement, « afin de développer les MARD, le comité adhère à la suggestion du groupe de travail de mettre en œuvre la pratique de la césure du procès avec médiation intégrée permettant au juge de ne trancher que la question de procédure ou de droit principale et de redonner aux parties la maîtrise de leur procès en trouvant un accord sur les conséquences de la décision du juge ».
Objectif des Etats Généraux de la justice : diviser par 2 la durée des procédures en Droit du Travail !
Le comité des États généraux de la justice estime qu’au « terme de la mise en état, chaque affaire portée devant le tribunal du travail devrait ab initio être orientée soit vers la conciliation, soit vers une audience paritaire, soit vers une audience de départage ». Surtout, « le comité propose qu’un état des lieux des stocks et un plan de réduction du stock et des délais de traitement soit élaboré par chaque président de tribunal du travail ». Le comité souligne d’ailleurs que le délai d’écoulement théorique du stock des procédures devant les CPH était de 26 mois en 2020. Pour cette raison, les réformes de la justice du travail doivent poursuivre un objectif impérieux de réduction des délais afin de retrouver un délai moyen de jugement d’un an à brève échéance. Ainsi que le souligne le rapport, « c’est un impératif qui, faute d’être respecté, mettrait en cause la légitimité même de l’institution prud’homale qui, par essence, est une justice de proximité, statuant sur des questions de fait, et doit rendre des décisions dans des délais rapides sur des sujets essentiels pour la vie des salariés et des entreprises ».
Des juges du travail mieux formés et des greffiers valorisés
L’avant dernier volet des recommandations concernant le droit du travail est relatif à la formation des juges du travail dès leur entrée en fonctions, et tout au long de leur mandat. Le rapport suggère « un enseignement à l’Ecole Nationale de la Magistrature en complément de la formation dispensée par les centrales syndicales gagnerait ainsi à être proposé ». Le comité adhère également à la proposition d’entourer et d’accompagner les juges du travail par la constitution d’équipes d’aide à la décision adaptées aux spécificités de leurs missions avec l’institutionnalisation de réunions régulières entre les juges du travail et les magistrats professionnels (de première instance et de cour d’appel), au-delà du recours à la procédure de départage. Concernant les greffiers, le rapport suggère qu’ils soient chargés « de la mise en œuvre quotidienne des principes généraux de la conduite de la mise en état, en référant au juge du travail en cas de difficulté. Ce renforcement du rôle du greffier implique une formation spécifique au sein de l’École nationale des greffes, incluant des temps conjoints avec les juges du travail ».
Vers la suppression des sections des conseil de prud’hommes ?
Chaque conseil de prud’hommes comporte 5 sections : industrie, commerce et services commerciaux, agriculture, activités diverses, encadrement. Or certaines sections sont désertées et d’autres sont bondées. Afin de s’adapter aux besoins des territoires et d’améliorer la souplesse de fonctionnement de la justice du travail, le comité estime que des modifications dans l’organisation des tribunaux du travail pourraient être opérées. Il propose ainsi qu’à « la répartition contraignante par section soit substituée une organisation par chambre qui, dans les grands tribunaux du travail, pourrait correspondre à une certaine forme de spécialisation par type de contentieux ».
En définitive, comme le souligne le rapport « la lenteur de la justice révèle un manque chronique de moyens matériels et humains. Cette lenteur est d’autant plus inquiétante qu’elle porte généralement préjudice aux justiciables les plus fragiles, et qu’elle n’est en rien le gage d’une décision de qualité ». Souhaitons juste que cela ne soit pas qu’un énième rapport sans régler le fond du sujet.